La réassurance, l’assurance des assureurs
De même qu’un individu cherche à protéger son patrimoine et ses proches contre toutes sortes d’aléas, une entreprise d’assurance doit également mesurer et limiter l’exposition de ses fonds propresafin de faire face à ses engagements. Pour ce faire, elle doit elle-même s’assurer. C’est ce qu’on appelle la réassurance.
Réassurance : définition
La réassurance, c’est « l’assurance des assureurs ». C’est une opération par laquelle un assureur se fait lui-même assurer pour tout ou partie des risques qu’il prend en charge. Elle permet ainsi aux entreprises d’assurance de garantir des risques supérieurs au niveau que leurs seuls fonds propres autoriseraient.
Cette opération est formalisée par un traité de réassurance conclu entre le réassureur et l’assureur, que l’on nomme « la cédante». Un assureur peut faire appel à plusieurs réassureurs. La grande différence avec la coassurance, c’est que les assurés ne connaissent pas le ou les réassureurs de leur entreprise d’assurance. Leur relation contractuelle se limite ainsi à leur assureur et ils ne peuvent faire aucun recours contre le réassureur. Une autre différence importante est que la réassurance s’effectue sur un ensemble de contrats (portefeuille automobile par exemple) et non pas sur un seul risque.
Cette opération est devenue primordiale avec la multiplication des grandes catastrophes naturelles depuis 20 ans. En effet, celles-ci peuvent mettre à mal les compagnies d’assurances. De plus, la directive Solvabilité 2 impose un contrôle des capacités financières des compagnies d’assurance. L’ACPR exerce en effet un contrôle permanent et approfondi des états comptables et prudentiels transmis par les organismes d’assurance. Cela se traduit l’examen de rapports de contrôle interne, de solvabilité et de réassurance.
Ainsi, celles-ci doivent chaque année estimer les risques auxquels elles s’exposent. Notamment selon quelle fréquence et quelle probabilité ces risques surviennent. Une fois ce travail effectué, elles peuvent alors mieux évaluer leurs besoins de réassurance. Il ressort que plus une société est petite, plus elle doit faire appel à la réassurance.
La réassurance : Pourquoi faire ?
L’assurance est un pilier de l’économie. Dans le même temps, qui dit assurance dit sécurité et garantie. La réassurance permet donc, à bien des égards, de sécuriser ce marché. En effet, celle-ci permet aux compagnies d’assurance de :
- Moins exposer leurs fonds propres. Le report de risque sur une compagnie d’assurance « secondaire » permet de mieux réponde aux exigences de solvabilité ;
- Mieux réguler leurs résultats et d’être moins atteintes par d’éventuels risques de masse dont l’intensité serait démesurée. Ces risques qui seraient couteux à assumer seul le seront nécessairement moins avec la compagnie de réassurance mise à contribution.
- Préserver sa capacité disponible. En effet, la mutualisation des risques à très grande échelle par les compagnies de réassurance permettent de développer le portefeuille sans craindre la mise à mal de son rapport sinistre sur prime.
L’opération de réassurance s’inscrit dans un cadre qui est désormais international et justifie la confortation de la supervision à cet échelon.
Histoire de la réassurance
Comme nous l’expliquions dans un article précédent, l’assurance est une pratique très ancienne qui remonte à l’antiquité. La réassurance quant à elle, est apparue plus tardivement au Moyen-Âge. En effet, le plus ancien contrat de réassurance à ce jour date de juillet 1370. Le document, rédigé en latin, a été produit par des assureurs vénitiens à Gênes. Il évoque la cargaison d’un navire qui devait voyager de Gênes en Italie pour se rendre à Sluis en Flandres. Cependant, en raison du caractère dangereux de la traversée, l’assureur a transféré une partie du risque chez un deuxième assureur, qui l’a accepté. Ceci est une réassurance authentique, puisque la transaction eut lieu entre l’assureur et le réassureur, sans aucune relation contractuelle entre le second.
De plus, le contrat comportait un aspect notable. En effet, le contrat concernait uniquement la dernière partie du parcours. Celle qui reliait Cadix à la Flandre, et qui était la plus dangereuse. Ainsi, c’est le risque le plus probable ou le plus coûteux, que l’assureur a voulu assurer. De la même manière que les assureurs aujourd’hui avec les réassureurs
Pour l’anecdote, ce contrat ne mentionnait pas la prime à payer. Les historiens pensent que la raison est probablement l’interdiction de l’usure qui prévalait à Gênes à cette époque.
Rasichurare, l’ancêtre de la réassurance
Au XIVème siècle, les contrats de réassurance n’avaient pas encore de nom. Le siècle suivant, ce fut chose faîte. En effet, les historiens ont retrouvé un document mentionnant le terme rasichurare en date du 16 mai 1409. Il s’agissait d’un contrat de ré assurance pour un transport de laine entre Southampton et Porto Pisano. Un contrat à 200 florins d’or, ce qui était une somme coquette pour l’époque. Il semblerait que les langues européennes aient adopté ce terme pour décrire ce type de relation commerciale. Dans tous les cas, la réassurance s’est développée à partir de l’Italie et autour du commerce maritime méditerranéen.
De la coassurance à la réassurance
Le siècle suivant, de véritables compagnies d’assurance virent le jour. La première à Séville en 1552. Les assureurs se mirent à imprimer leurs contrats dès 1583. Ces premiers assureurs avaient besoin de diluer les risques qu’ils garantissaient. Ainsi, ils développèrent le principe de la coassurance sur les plus grands risques. Différents pourcentages étaient convenus et les risques divisés entre plusieurs assureurs. Cependant, comme les assureurs ne souhaitaient pas prendre des parts importantes, le montant des polices d’assurance augmentaient.
Cette situation a conduit ces premiers assureurs à des situations complexes. Aussi, ils développèrent la réassurance. Celle-ci obtint au cours du XVIIème siècle une reconnaissance officielle avec l’essor des compagnies d’assurance. Il s’agissait toutefois d’une réassurance différente de la nôtre. En effet, le cadre juridique n’était pas uniforme. Il n’y avait pas même une définition claire de l’opération. Cependant, le terme réassurance fut utilisé pour plusieurs types d’opérations.
Par exemple, en 1595 à Amsterdam, un assureur prit la responsabilité d’un autre en cas de décès ou de faillite de celui-ci. Cette opération n’a pas le sens conventionnel de la réassurance. D’une part parce qu’il y a un transfert intégral des obligations de l’assureur d’origine. D’autre part parce qu’il y a une relation entre le réassureur et l’assuré.
A Bilbao en 1738, un contrat prévoit, en cas de l’insolvabilité de l’assureur, un deuxième assureur à titre subsidiaire. Cependant, ce n’est pas encore la réassurance telle que nous la connaissons. En effet, dans ce cas précis, le « réassureur » est désigné et payé par l’assuré
Développement durant l’époque moderne
La réassurance a connu une expansion rapide en Europe. Son développement devint tel que l’Angleterre prit la décision de l’interdire entre 1746 et 1864. Il était alors question d’éviter certains abus.. Cependant, malgré cette interdiction, il semblerait qu’elle fut pratiquée dans certains cas.
L’essor de la réassurance avait pris place dans le cadre du commerce maritime. Cependant, les besoins en réassurance se diversifièrent, dans le cadre d’une évolution de l’assurance. Le grand incendie de Londres en 1666 avait été le point de départ du développement de l’assurance incendie. Aussi, la réassurance se développa dans ce domaine précurseur de l’assurance habitation.
Ainsi, le premier contrat de réassurance incendie connu date de 1813. Les parties contractuelles étaient la Eagle Fire Insurance Company de New York et Union Insurance. Un autre contrat émerge avec des caractéristiques similaires en 1824 entre National et l’Imperial Fire.
C’est à cette époque que la réassurance incendie s’internationalise. En effet, la compagnie Sun Insurance Office accepte une offre d’assureurs allemands (Aachener et Münchener). Dans le même temps, elle étend ses offres à tous les pays européens, ainsi qu’en Inde et en Amérique.
Le plus ancien contrat de réassurance contre la grêle que nous connaissons date de 1854. Il fut signé entre les sociétés Magdeburgere et Reunioni Adriatica.
Quant aux premiers contrats de réassurance vie, ils apparaissent en 1844 en Angleterre. En 1858, on les retrouve en Allemagne avec un contrat conclu entre la Scheweizerische Renteanstait et Frankfurter Ruck.
Enfin, le premier contrat de réassurance accident a été conclu par deux sociétés écossaises en 1888.
Comment fonctionne la réassurance ?
L’opération de réassurance se formalise par un traité de réassurance. Ce traité est conclu entre le réassureur et la cédante. Un assureur peut faire appel à plusieurs réassureurs. C’est d’ailleurs une pratique répandue. En effet, les réassureurs veillent à disperser leurs risques et à ne pas les concentrer.
Quant aux assurés, leur relation contractuelle se limite à leur assureur. Ils n’ont en effet aucun lien avec le réassureur de leur assurer. En d’autres termes, ils ne connaissent donc pas le ou les réassureurs et ne peuvent faire aucun recours contre eux.
Afin de schématiser, le mécanisme est le suivant :
- Le réassureur prend en charge une partie des risques souscrits par l’assureur auprès de ses assurés ;
- Puis, il perçoit une partie des primes versées par les assurés à l’assureur ;
- Enfin, il rembourse à l’assureur une partie des prestations versées au titre des indemnisations de sinistres.
La plupart des contrats de réassurance durent 1 an. La date d’effet varie en fonction des marchés. Ainsi, elle est traditionnellement le 1er janvier dans les pays européens. Pour le marché américain, c’est le 1er juillet tandis que pour le marché asiatique, c’est le 1er avril. C’est à ces périodes que les contrats, qu’on appelle aussi programme, se renégocient.
Enfin, de la même manière que l’assurance se divise en plusieurs branches, la réassurance distingue la réassurance vie de la réassurance non-vie.
Réassurance facultative et obligatoire
Il faut préciser qu’il existe deux principaux modesde réassurance, la réassurance facultative et la réassurance obligatoire.
Dans le cadre de la réassurance « facultative », il s’agit de réassurer individuellement un risque spécifique. Par exemple, une usine. La réassurance facultative laisse le choix à l’assureur de céder ou non. Elle laisse également le choix au réassureur d’accepter ou non cette réassurance.
Dans le cadre de la réassurance « obligatoire », il s’agit de réassurer une communauté de risque. À titre d’exemple, il peut s’agir d’un portefeuille de contrats automobile. Dans ce cas, le traité de réassurance se négocie en amont (généralement chaque début d’année). Il présente un caractère obligatoire, avec une obligation de céder tous les risques du portefeuille concerné pour l’assureur et une obligation de tous les accepter pour le réassureur.
Aux Etats-Unis, il existe une forme rare de réassurance facultative-obligatoire, mais elle ne concerne pas le monde de l’assurance européen.
La réassurance proportionnelle et non-proportionnelle
Enfin, il existe deux pratiques pour déterminer l’indemnisation et les cotisations : la réassurance proportionnelle et la réassurance non-proportionnelle.
La réassurance proportionnelle consiste en une participation proportionnelle du réassureur aux gains et pertes de la cédante. Elle s’appuie sur la détermination de quote-part et d’excédent de pleins.
La réassurance non-proportionnelle prévoit l’intervention du réassureur une fois un certain seuil de sinistre ou de perte atteint par la cédante. Le contrat détermine alors l’excédent de pertes et l’excédent de sinistres.
Les principaux réassureurs mondiaux
L’offre et la demande de réassurance se cantonnent essentiellement dans les pays où le marché de l’assurance est mûr. Ainsi, parmi les leaders mondiaux, on retrouve les pays européens comme l’Allemagne, la Suisse, le Royaume-Uni et la France. Outre-Atlantique, on retrouve les États-Unis, et les Bermudes. Ce petit pays figure au classement pour des raisons fiscales ainsi que pour la couverture « Tempête, Ouragan, Cyclone » des pays limitrophes. Plus récemment, le marché asiatique s’est développé.
Désormais, le volume des primes de ré assurance s’établit à environ 260 milliards d’euros en 2018. Ainsi, il a presque triplé en 20 ans.
Le marché de la réassurance est encore plus concentré que celui de l’assurance. De ce fait, les 5 plus gros réassureurs mondiaux représentent 50 % du marché en 2018. Et, on ne compte qu’une centaine de réassureurs mondiaux.
Top 10 des principaux réassureurs 2022
(primes en milliards de dollars)
Réassureurs | Primes totales |
1. Munich Ré (Allemagne) | 36,7 |
2. Swiss Ré (Suisse) | 36,4 |
3. Hannover Ré (Allemagne) | 22,4 |
4. Scor (France) | 17,9 |
5. Berkshire Hathaway (Etats-Unis) | 16,5 |
6. Lloyd’s (Royaume-Uni) | 14,5 |
7. China Ré (Chine) | 12,2 |
8. RGA (Etats-Unis) | 11,4 |
9. Great West Life (Etats-Unis) | 10,6 |
10. GIC Ré (Inde) | 6,9 |
Signalons que le réassureur chinois China Ré est entré dans le « top 10 » en 2012 et l’indien GIC en 2017.
L’organisation en France
La quasi-totalité des réassureurs opérant sur le territoire français sont fédérés au sein de l’Association des professionnels de la réassurance en France (APREF). L’APREF compte une quarantainede membres réassureurs. Ceux-ci représentent environ 95 % du marché. Elle compte également membres associés, notamment des courtiers ou des consultants spécialisés.
L’APREF a été fondée en 2005 par la fusion de trois organismes représentatifs :
- L’APREMAF (Association professionnelle des réassureurs du marché français) ;
- L’ARF (Association des réassureurs français) ;
- L’UREF (Union des réassureurs étrangers en France).
Les deux principaux réassureurs français sont Scor et la CCR :
- Scor a été créé en 1970 à l’initiative de l’État français. En 1989, elle fusionne avec UAP Ré et entre à la Bourse de Paris. Elle devient ensuite un acteur à vocation mondiale. En effet, elle est actuellement le 4ème réassureur mondial. Elle intervient à la fois en réassurance vie et en non-vie ;
- La Caisse Centrale de Réassurance (CCR) a été créée par l’État français en 1946. Sa vocation principale était la gestion de certains fonds publics d’indemnisation ainsi que la réassurance de branches spécifiques bénéficiant de la garantie de l’État. Il s’agissait notamment des risques de guerre, des risques nucléaires, des catastrophes naturelles, des attentats ainsi que des actes de terrorisme. C’est une société détenue à 100 % par l’État français. Elle qui figure actuellement parmi les 25 premiers réassureurs mondiaux.
Tout comme les assureurs, les réassureurs français sont supervisés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
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